• Une vocation

    LA GAZETTE TOLOSANE

    Numéro 10 Janvier-février-mars 2014

    ARTICLE

    Le vitrail : Une fenêtre pour une vision surnaturelle. Comme un miroir des transparences divines...

    Invité à écrire au sujet de mon travail, j'ai bien réfléchis, conscient que le dessin m'est plus facile que l'écriture. Que dire de nouveau qui n'a pas encore été dit sur les verrières de nos cathédrales. Par quel versant dois-je aborder la création de vitraux ? Le côté pénible des dates, l’historique, les origines, d'autres que moi s'y sont collés et l'ont très bien fait. Je me suis dit que s'épancher sur la difficulté de vivre l'isolement nécessaire à toute création n'intéresserait personne. Même s'il serait utile de disserter sur cet impératif, souvent interprété comme de l'égoïsme. Réaliser une œuvre c'est certainement une manière de laisser une trace, d'échapper un peu au temps et à la mort. Et puis les mythes et les mystères qui s'y rattachent sont multiples. Mais, je ne voudrais pas me faire l'écho des amateurs de mystique. Je me méfie aussi du mépris sophistiqué des experts et de la pédanterie académique. Alors, que reste-il à partager ? En regardant une reproduction du Caravage, la «Vocation de saint Matthieu» (1600) placée dans mon bureau ; je pense que je peux prendre le risque de simplement dire la vérité.


    J'ai choisi le métier de verrier pour répondre à une vision oubliée de ma petite enfance.

    J'avais cinq ans. Un soir, alors que j'allais m'endormir, j'ai aperçu au-dessus de ma tête une lumière blanche et dorée, comme une étoile. Elle s'est agrandie comme une fleur qui s'ouvre laissant apparaître d'autres lumières comme des pierres précieuses. Celles-ci étaient de couleurs différentes, toutes distinctes et n'en finissaient pas de s'ajouter, comme suspendues dans un lent mouvement de spirale descendante. Je n'osais plus bouger de peur de déranger ce spectacle merveilleux. Cela m'a paru durer un long moment. Les lumières au bord de ce cercle se sont rapprochées et celles au centre sont montées faisant disparaître le plafond de ma chambre ouvrant comme un couloir ascendant. J'étais pris par ce spectacle. Tout mon corps était en paix. J'étais rempli de bonheur. Puis, lentement, tout a été comme aspiré jusqu'à redevenir la petite lumière qui a fini par disparaître. Je me suis endormi dans une grande paix. C'était la première rosace qu'il m'a été donné de voir. Bien plus tard, elle a fini par resurgir dans ma mémoire, comme pour valider le résultat d'une grande remise en question. Les rencontres, avec des hommes cultivés, un philosophe, des artistes et l'Abbé Michel Maret m'on fait grandir. Le Père Nicolas de Preux, tout particulièrement par ses enseignements, ses homélies et la grâce qui soufflait sur les célébrations qu'il présidait, est à l'origine de ma reconversion au sein de l'Eglise Catholique Romaine. Plus tard, il bénira mon mariage en la basilique de Valère. C'est à la suite du pèlerinage sur la tombe de Saint Jacques à Compostelle, que je suis rentré en Valais pour suivre les enseignements du Maître verrier, Mr Pierre Louis.


    Ma voie était trouvée.

    Il m'a appris à regarder, à dessiner, à m'exprimer. C'était un Maître du figuratif, exigeant, qui voulait faire de nous des verriers créateurs d'images. Il m'a enseigné que pour créer une œuvre il faut absolument maîtriser les subtilités de son langage. Lors de la correction d'un projet. Il m'a dit : «Tu vois ! Là ! Ce que tu as fait c'est très bien ! Cela vaut dix-huit ! Mais comme tu ne sais pas pourquoi cela fonctionne ce sera noté deux !» Il m'a aussi fait voir comme le verre coloré, traversé par la lumière, se suffit à lui-même. Et que vouloir réaliser un vitrail devait être forcément autre chose que simplement assembler un matériau noble avec du plomb soudé à l'étain. A ce propos, il avait l'habitude de dire : «Si vous n'avez rien à exprimer d'important, de vital, taisez-vous, ne prenez pas la parole !» Enfin, il m'a donné de comprendre que la beauté contient une parcelle de vérité, naturellement accessible à tous, et que l'évidence et la simplicité apparente de celle-ci demande à l'artiste un énorme effort.


    Mon langage c'est le vitrail.

    Sur un plan professionnel, cela correspond bien à mon caractère soucieux, contemplatif et têtu. Puisque pour réaliser un vitrail il faut plusieurs étapes, de la précision et du temps... Avant de fabriquer quoique ce soit tout doit être décidé, car le verre ne souffre aucun repenti. Nos mains travaillent sans que nos yeux puissent contrôler en permanence l'avancée globale de l'œuvre, contrairement aux sculpteurs et aux peintres. La maquette, l'expérience et la connaissance nous conduisent vers la contemplation de l'œuvre aboutie. Un peu comme l'organiste qui joue sa partition, mais écoute les notes sortir des tuyaux bien après.


    En pratique les différentes phases se suivent ainsi :

    • La rencontre avec un homme, une communauté est souvent le départ vers un nouveau projet, ce moment est capital. Il faut percevoir ce que l'autre attend et ce qu'il ne vous dit pas. Parfois un rêve ou une inspiration sera à l'origine d'une création, il faudra alors comprendre le sens qui s'y rattache. Dans les deux cas, cela va définir le sujet, son expression et ses développements. En général, on ne commande pas un vitrail comme on achète son journal. C'est le fruit d'une réflexion et d'un désir souvent relié à d'autres formes d'art, à une expérience personnelle, à un événement. Et puis il y a le fait que dans la plupart des cas il sera posé avec une durée de vie de plus de cent ans. Cela va modifier de manière importante la perception que nous avons de l'espace connu. C'est un composant de l'architecture extérieur et intérieur, c'est une fermeture et un élément de décoration. Il faut donc qu'au final chacun puisse s'approprier l'œuvre pour vivre avec, tout simplement.

    • Ensuite il faut épuiser le sujet du mieux que l'on peut par une étude de l'iconographie, la symbolique, l'histoire, la géographie, voir la géopolitique, les médias, les films et les textes qui s'y rattachent. Ceci est plus important qu'il n'y parait, à ce sujet Mr Louis disait : «Un jour, j'ai dû faire un vitrail pour un champion de formule 1. Il voulait une vue en perspective du circuit depuis son habitacle. J'ai commencé ce travail par l'étude de cet habitacle et de la voiture avec des photographies que j'ai prises en personne et je suis même monté dedans. Si dans ma réalisation, j'avais omis un seul petit bouton ou fait une erreur de positionnement, il n'aurait vu que cela, il n'aurait pas pu jouir pleinement de mon travail et nous serions deux à être déçus».

    • La maquette, qui représentera le vitrail dans les moindres détails, sera le fruit du travail d'observation, de réflexion et d'inspiration. Je dessine, je pose les couleurs et trace les lignes des plombs avec douceur et retenue.


    C'est le moment intime de la création.

    Puis je présente l'image à son commanditaire et une fois la maquette validée, je passe à la réalisation proprement dite : • Il me faut d'abord un agrandissement à l'échelle, puis un carton correspondant à la trame et au dessin. • Ensuite je sors mes feuilles de verre pour les choisir, je les pose sur le bord des fenêtres. C'est un beau moment de paix et de joie parce que regarder toutes ces plaques colorées, vibrantes de lumière, c'est magnifique. Pour séparer les pièces du verre, j'utilise une roulette ou un diamant. Je dis «séparer», parce que c'est le son de l'outil qui pénètre la matière du verre et aligne les molécules. Une simple pression suffira à les détacher. • Toujours en suivant la maquette. J'applique les grisailles ou les émaux pour dessiner les motifs. • Les pièces de verre sont passées ensuite au four pour fixer tous les traits et les ombres. • L'ensemble sera maintenu par le sertissage au plomb et à l'étain. • Et un masticage viendra en dernier rigidifier et étanchéifier la surface.

    Après des heures et des heures de travail et d'endurance, et bien, si on en reste là, il ne se passe rien ! Il faut encore, avec une infinie précaution, une intense appréhension, faire glisser le panneau hors de la table de travail pour l'exposer tout entier à la lumière. Là, enfin redressé, exposé aux rayons du soleil, le vitrail prend vie.


    C'est un grand moment ! Il est si important, qu'il est difficile d'en exprimer l'intensité. Je voudrais donc laisser la parole au Père Nicolas de Preux, grand esthète, pour rendre hommage à celui qui fut, un de mes Maîtres : «Un style ne se «veut» pas, ne s'invente pas... Qui vêt ses œuvres du peplos de Phidias dans l'espoir de les rendre divines, avorte des pastiches de Thorwaldsen... L'art vrai se fonde sur l'émerveillement des yeux. On ne regarde presque jamais ! Mais voir en vérité, patiemment observer, saisir la symphonie d'un seul mouvement, l'hymne des plis d'une simple tunique, connaître, enfin, de ses yeux ! Dieu l'accorde seulement à qui, mort à ses propres vues, touche dans la nature et réveille le mystère de sa source immortelle» (Nicolas de Preux, Le miroir des transparences divines, sortir au jour).


    La «vitre haute» s'ouvre enfin sur un monde sans pesanteur.

    De par ses composants, sa fabrication et sa fonction, le vitrail est pour celui qui le regarde comme une fenêtre sur cette réalité. C'est avec de la poussière d'étoiles, de la cilice, que l'on fabrique le verre. Les grisailles à base d'oxyde (de fer, de cuivre, de manganèse, de cobalt) qui servent à peindre et colorer les verres seront passés par le feu du four pour les fixer, les transformer et les rendre pérenne. Du plomb sera utilisé pour sertir les pièces de verre (c'est le métal noir saturnien, tristesse et humilité, aussi lourd et mou que l'or mais le plus bas dans l'échelle des valeurs). Et pour finir, l'étain (le métal bleu jupitérien, constance, fidélité, recueillement profond face à Dieu) sert pour souder le tout. Les opérations qui se suivent et la matière utilisée pour réaliser un vitrail sont chargées de sens et de symboles. C'est le support parfait pour une profonde catéchèse. La pratique de ce métier m'apprend beaucoup de choses sur l'homme que je suis et sur les autres. A condition de rester attentif... Sous l'action de la lumière, les couleurs des vitres hautes vibrent et sont toujours changeantes, comme un écho de l'inconstance de nos sens et de nos émotions, c'est le moteur de nos vies. Le signifié lui, reste visible du lever au coucher du soleil. C'est la constance, le pèlerinage. Les signes et les couleurs réunis par le plomb et l'étain figurent pour moi le chemin, c'est l'échelle. C'est la miséricorde qui n'a pas peur du jugement.


    Sur un plan spirituel : c'est l'art plastique le plus élevé hiérarchiquement, le plus proche du chant et de la musique.

    Dans l'église, il est bon de comprendre que, par analogie, la lumière du soleil traversant les vitraux sans les altérer, donne naissance à l'image; et ainsi symbolise le Mystère de l'Incarnation et évoque la nature de la Vierge Marie. Réaliser des vitraux ce n'est pas l'art de maîtriser la lumière mais celui de la servir. Sans elle, sans sa vibration, il n'y a pas de vision, pas d'image, pas de révélation. Si pour certains grands compositeurs les notes font jaillir des couleurs au fond de leurs âmes, le vitrail chante au son des couleurs la gloire de Dieu. Et s'il est vrai que le chant et la musique, prennent leur source dans le silence, la lumière, elle, nous parle de cette origine. Elle voyage dans l'espace si vite qu'elle peut nous laisser entrevoir les courbes et contre-courbes du temps. Elle descend du ciel sur la terre pour illuminer les surfaces, allumer les couleurs et réchauffer les corps, si profondément, qu'elle nous révèle quelque chose de la vraie nature de l'amour de Dieu.

    Dominique CHATELAIN
    Verrier créateur
    Chevalier de la Commanderie Sainte Foy

     

    La Gazette Tolosane n°10

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